Fermeture de Zone-Téléchargement : la mutinerie des internautes

En début de semaine dernière, une enquête de la Gendarmerie nationale a permis de fermer le site Zone-Téléchargement. Cette référence du téléchargement illégal (films, séries, jeux, logiciels…) était alors le onzième site le plus visité de France et échappait aux différentes plaintes depuis des années. Suspension du site, arrestation des administrateurs, révélations sur le train de vie luxueux de ces « bénévoles » : l’affaire a connu plusieurs rebondissements et les internautes ont réagi en masse.

Comment les Français ont-ils vécu ces événements, alors qu’ils étaient nombreux à profiter de ce site illégal ? Pour le savoir, nous avons paramétré notre outil de veille Opinion Tracker.

#JeSuisZoneTelechargement : très forte viralité de l’annonce auprès des internautes

Volumétrie des tweets publiés entre le 27/11 et le 06/12 au sujet de Zone-Téléchargement

Volumétrie des tweets publiés entre le 27/11 et le 06/12 au sujet de Zone-Téléchargement

 

Entre le 28 novembre et le 6 décembre, plus de 191 000 messages ont été publiés sur Twitter en rapport avec la fermeture du site Zone Téléchargement. La journée du 28 novembre, jour de l’annonce, concentre à elle seule 45 % de ces messages.

Le 29 novembre, les internautes demeurent très actifs sur le sujet, puis s’en suit une chute des retombées à partir du 30. Celle-ci se prolonge et se stabilise à un nombre de tweets conséquents dans les jours qui suivent, avec la publication de nouveaux articles médias, qui suivent les évolutions de l’affaire et traitent davantage de la question du téléchargement illégal au sens large, comme l’article publié sur Le Monde.

Plusieurs hashtags dédiés à l’actualité ont circulé parmi les internautes dès l’annonce de la fermeture. Le plus utilisé est #ZoneTelechargement, même si #JeSuisZoneTelechargement et #RIPZoneTelechargement prennent respectivement les 2e et 3e places du podium.

Des internautes désemparés mais qui évoquent l’information avec légèreté

 

Vu l’ampleur du phénomène sur les réseaux sociaux, il est pertinent de décrypter quelles ont été les thématiques les plus abordées par les internautes en lien avec la fermeture du site Zone-Téléchargement. Sarcastiques, euphoriques, colériques ou encore neutres, leurs types de réaction ont été également passées au peigne fin.

Répartition des verbatims par thématiques

Répartition des verbatims par thématiques

 

Une grande partie des messages (24 %) traduit l’attachement que pouvaient avoir les internautes pour le site Zone Téléchargement. Il s’agit parfois d’un attachement quasi filial (« Zone téléchargement tu était comme un frère pour moi.. rip #Pray4ZoneTéléchargement ») Lien. Le site représente un véritable « repère » pour ces utilisateurs qui en faisaient usage au quotidien. Beaucoup disent qu’ils vont se sentir perdus sans lui : « Putain sans zone téléchargement je me sens totalement impuissant ») Lien.

Cela explique que le Désarroi soit la réaction principalement associée à ces messages (50 %) suivie de la Tristesse (17 %). On observe par ailleurs que plusieurs internautes expriment ces émotions en utilisant le hashtag #JeSuisZoneTelechargement, en établissant donc un corollaire avec un événement aussi dramatique qu’un attentat.

La seconde thématique que l’on retrouve le plus dans les messages des internautes se rapporte à une critique récurrente formulée à l’encontre des autorités (18 %). On leur reproche de s’être occupés de la fermeture d’un site de téléchargement illégal, plutôt que de la fermeture de sites djihadistes ou d’autres problématiques prioritaires selon eux : « Hey nvm la police national , pour ferme zone-téléchargement y’a du monde mais arreter koulibaly y’a plus personne tchip » Lien

On notera par ailleurs que plusieurs internautes se sont directement adressés au compte officiel Twitter de la gendarmerie pour leur faire ces reproches : « Alors #Gendarmerienationale vous savez fermer zone téléchargement, mais vous arrêtez quand les pedophiles en France ? Bande de gros cons » Lien. C’est sans surprise que l’on voit que la Colère est la réaction prédominante de cette thématique (à hauteur de 47 %).

L’annonce de la fermeture du site Zone Téléchargement a également fait l’objet de nombreux messages humoristiques (17 %), dans lesquels les internautes ont fait largement référence, sur un ton léger (88 % des verbatims) à l’univers des séries, celui de la politique, du sport, ou encore de la culture Web : « Les plus grosses blagues de cette année 2016 : -le Portugal qui gagne l’Euro -trump élu président -la fermeture de Zone Téléchargement » Lien.

Dans la foulée de l’annonce de la fermeture du site, on observe l’apparition de nombreux messages d’internautes se demandant quel site ou service équivalent à Zone Téléchargement est disponible (13 % des verbatims). D’autres se plaignent de devoir passer à un système de téléchargement différent ou inférieur en qualité, et qui ne leur convient pas : « Je suis tellement deg de la fermeture de Zone téléchargement c’est grave pourri le streaming » Lien

Cette thématique concentre les réactions les plus variées, mais on remarque cependant que les réactions Neutres sont les plus nombreuses (37 %), en raison d’un nombre élevé de questions de cette tonalité.

Plusieurs internautes ont également des considérations éthiques (11 %), à savoir qu’ils soulèvent des questions d’ordre moral suite à la fermeture du site ZT. Certains prennent parti pour le modèle économique du site et défendent leurs fondateurs, au nom de la culture : « “Zone Téléchargement” Des avocats très bien payés vont détruire la vie de ceux qui ont permis aux jeunes et aux chômeurs de voir des films. » Lien D’autres estiment à l’inverse que les fondateurs du site étaient « loin d’être des philanthropes » et qu’après tout « C’est illégal, ils ont été négligeant et ils se sont fait prendre. #StopClickBait » Lien

D’autres encore abordent la pratique du piratage associée à la morale : « Les gens qui se plaignent que Zone Téléchargement a fermé vs êtes au courant qules artistes sont encore + emmerdé que vs qd vs telechargez ? » Lien

Ce clivage dans l’opinion se retrouve par ailleurs dans les types de réactions observées, elles se partagent entre la Colère (36 %), la Satisfaction [de la fermeture du site] (14 %) et le Sarcasme (14 %).

La question du piratage (8 %) est abordée de façon neutre et plus légère par les internautes qui remettent parfois en question la légitimité voire l’utilité de la fermeture d’un site tel que ZT : « Supprimer zone téléchargement c’est comme exécuter Gold Roger ca arrêtera rien du tout au contraire ca lancera la + grande ère de piraterie » Lien.

D’autres apportent des compléments d’information : « Zone Téléchargement était le 11e site le plus visité en France » Lien

L’ampleur des réactions suscitées par l’annonce de la fermeture a fait l’objet d’un certain nombre de messages d’internautes (5 %). Ces derniers relativisent le phénomène sur le ton de la plaisanterie (« Va falloir vous calmer avec zone téléchargement c’est juste un site putain c’est pas un meurtre » Lien), ou font le lien à d’autres faits d’actualité : « Les ricains ils font des manifs pcq trump a été élu nous on va en faire pcq zone téléchargement a fermé chacun ses bails » Lien

Enfin, certains internautes isolés font référence à la politique (4 %) dans leurs messages, en lien avec les futures élections présidentielles de 2017. Là encore, le ton est surtout léger (67 %) : « Le premier candidat aux présidentielles qui promet de réouvrir Zone Téléchargement gagne directement les élections au premier tour. » Lien

On notera que peu d’internautes se sont déclarés en faveur de la fermeture du site Zone Téléchargement. Ces internautes mettent en avant la protection des droits d’auteur ainsi que la menace de la liberté du commerce pour défendre leur point de vue.

Image des pouvoirs publics : quand la Gendarmerie nationale se félicite d’une mesure impopulaire

Désemparés et souvent de mauvaise foi, de nombreux internautes ont donc comparé l’intervention de la gendarmerie avec la (prétendue) impunité de certains sites dangereux (terrorisme, pédophilie…). Insultes, jeux de mots et sarcasme : ces nombreux tweets sous-entendaient que les autorités, le gouvernement et la gendarmerie se trompaient de combat. Pourquoi tant de haine envers les forces de l’ordre pour une simple application de la loi ? Éléments de réponse.

Bien que la suspension du site fasse suite à une plainte de la SACEM datant de plusieurs années, l’annonce de cette décision a été faite par le compte Twitter de la Gendarmerie nationale.

En faisant cette annonce, la Gendarmerie nationale s’est affichée en principale autorité à l’origine de la décision. Avec une capture d’écran présentée comme un trophée de chasse et un hashtag alarmiste sur la #CyberSécurité, elle a affiché une certaine fierté suite à la fin de l’enquête. À titre de comparaison, la police d’Andorre, impliquée dans l’interpellation d’un des administrateurs, a publié un communiqué beaucoup plus neutre. Problème : aux yeux de l’opinion publique, un site permettant « simplement » de télécharger illégalement des films ou des séries ne relèverait pas vraiment de la #CyberSécurité nationale, et sa fermeture ne constituerait pas un fait d’armes dont la Gendarmerie (et donc les ministères de l’Intérieur et de la Défense) devrait se gargariser comme si elle avait déjoué un attentat.

Très utilisé et très populaire, Zone-Téléchargement était un des symboles de cette pratique largement partagée qu’est le téléchargement illégal, et que peu d’internautes français considèrent encore comme un « vrai » délit. La fermeture du site allait nécessairement être mal perçue par lesdits internautes, qui se sont sentis comme dépossédés d’un droit.

Au-delà de son aspect légal, la fermeture du site pose également la question de la communication et de l’image des pouvoirs publics. Une mesure aussi impopulaire devait-elle être annoncée sur Twitter, réseau peuplé d’utilisateurs du site, par la Gendarmerie nationale, instance a priori destinée à des interventions graves, et sous des prétextes perçus comme exagérés ? Tout dépend de l’objectif de la démarche. Si cette annonce de la Gendarmerie visait à envoyer un message clair aux sites pirates et à leurs utilisateurs, l’objectif peut être considéré comme atteint, étant donné la propagation rapide et forte de l’information. Si le but était de légitimer cette décision en mettant en avant la #CyberSécurité, le caractère illégal du site et le préjudice des ayants droit, le résultat est plus discutable, d’après les conversations entre internautes. On notera d’ailleurs que cette décision a rencontré plus d’échos favorables lorsque l’image de « bénévoles » des administrateurs a été confrontée à leur modèle économique, à leurs comptes offshores et leur train de vie luxueux. Ces éléments, avancés par la presse, ont été plus efficaces que la mise en avant du préjudice des ayants droit, arguments légaux mis en avant par les autorités.

En prenant la parole dans ces conditions et en focalisant sur elle les discussions, la Gendarmerie peut-elle avoir desservi sa cause ? Fallait-il mettre en avant des arguments que les internautes ont par la suite tournés en ridicule ? Si la réponse n’est pas évidente, elle souligne certainement le besoin d’une autorité compétente et crédible vis-à-vis du téléchargement illégal et de la législation du Web français, ce que n’a pas réussi à installer la HADOPI.

 

En attaquant un site aussi populaire que Zone-Téléchargement, la Gendarmerie nationale a touché le quotidien de nombreux internautes français, qui se sont sentis dépossédés d’un droit dont ils jouissaient jusqu’alors sans limites. Pour ces utilisateurs, le téléchargement illégal n’est pas un vrai délit, et les arguments de la #CyberSécurité ou du préjudice causé aux ayants droit ont peiné à convaincre… Pire : en revendiquant la suspension du site, la Gendarmerie nationale s’est exposée à une vague de fortes critiques qui a peut-être desservi sa cause et son image. Cette affaire rappelle la complexité des attentes des internautes, qui exigent un accès illimité et proche de la gratuité à la culture. Un sujet déjà abordé dans les débats pour la présidentielle 2017, et qui restera à suivre du côté du Web…

Revenir aux actualités