Impact des campagnes-chocs sur l’opinion : exemple de l’association L214

L’association militante L214 tente à travers ses campagnes-chocs de faire réagir l’opinion sur les conditions d’élevage et d’abattage des animaux en France. Ces 15 derniers mois, l’association a multiplié la diffusion de vidéos, volées ou tournées par des salariés d’abattoirs, montrant des actes de maltraitance dans pas moins de 8 abattoirs français.
Avec la dernière vidéo en date, mise en ligne le 16 février dernier, le retentissement est-il plus fort ou au contraire y a-t-il un essoufflement du côté de l’opinion, de plus en plus habituée à ce type de communication par le choc des images ? In fine, quel est l’impact de ce nouveau mode de communication auprès des internautes en termes d’adhésion à cette cause ? Nous y répondrons dans cette étude Opinion Tracker.

Campagne originale pour résultats optimisés ?

 

Des campagnes de com’

Les actions de L214 sont plus que de simples révélations d’images-chocs : il s’agit de campagnes de communication, avec une scénarisation, l’utilisation d’une guest-star, un choix de ligne éditoriale… Après Hélène de Fougerolles et Rémi Gaillard, c’est donc le chroniqueur Guillaume Meurice qui a prêté sa voix, son visage et son humour à cette nouvelle campagne. L’objectif : sensibiliser le grand public, faire pression sur les abattoirs et les industriels, tout en tentant de faire intervenir les candidats de la future élection présidentielle sur le débat de la cause animale.

De nombreuses retombées

Le 16 février, les éléments de L214 étaient diffusés dans l’émission d’investigation Envoyé Spécial et mis en ligne sur les différents supports de l’association. Ce lancement multicanal a rapidement suscité de nombreuses réactions, dans des tendances que l’on peut retrouver sur Twitter :

Évolution du nombre de tweets citant les mots-clés « L214 », « abattoir » ou « abattoirs » la veille et les jours suivant les révélations de L214

 

On constate que la majorité des conversations Twitter autour des révélations de L214 sont liées à la diffusion d’Envoyé Spécial et aux reprises dans les médias suscitées par la communication de L214.

Une campagne moins visible que les précédentes ?

Depuis plusieurs années, L214 multiplie donc les diffusions de vidéos sur les abattoirs. Cette nouvelle campagne de communication a-t-elle été aussi réussie que les précédentes ? Si l’on examine les six dernières révélations d’importances (depuis fin 2015), on constate que les révélations sur l’abattoir de Houdan ne sont que le 4e événement à susciter le plus de réactions sur Twitter.

Nombre de tweets citant les mots-clés « L214 », « abattoir » ou « abattoirs » sur les 4 jours suivant la mise en ligne de chaque révélation

Par ailleurs, le choix de la « guest-star » Guillaume Meurice n’a a priori pas constitué un élément particulièrement différenciant pour cette campagne : le nom du chroniqueur n’est cité que dans 4,3% des tweets sur l’abattoir de Houdan. La réussite de la campagne a-t-elle reposé sur la forme du message (mise en scène, humour noir, chroniqueur connu…), sur son fond (image des violences animales) ou sur un savant mélange de ces deux composantes ?

Malgré une visibilité bien moindre comparée aux précédentes actions de L214, cette campagne a toutefois suscité de nombreuses réactions dans l’opinion publique. Au-delà de la forte visibilité de ces révélations, la question de leur impact sur les cibles visées reste entière.

Des réactions multiples mais ambivalentes

 

Des opinions clivées et une responsabilité attribuée à tout un chacun

La constitution d’un échantillon de verbatims nous a permis de dégager les thématiques principalement abordées par les internautes. Cette méthode a également été utilisée pour déterminer le degré d’adhésion des internautes à l’initiative de l’association.

Répartition des verbatims par thématiques

 

La question de l’engagement militant, à l’origine des révélations de l’association L214, est abordée dans un quart des messages et apparaît comme un sujet clivant pour les internautes. Même si la moitié de ceux qui prennent la parole ici remercient L214 pour son initiative « d’utilité publique », d’autres conçoivent de manière négative cet engagement, parfois perçu comme du « sectarisme » : « Y en a marre de ces associations qui veulent nous imposer leur mode de vie. » lien

On notera que l’association est directement prise à partie par plusieurs représentants de la filière sur Twitter, au moment de la diffusion du reportage d’Envoyé Spécial.

En intitulant son émission « Ouvriers d’abattoirs : des bourreaux ou des hommes ? » le magazine d’information s’est focalisé sur le sort des employés travaillant sur les chaînes d’abattage. Il est donc peu surprenant de retrouver cette thématique dans une part significative des verbatims.
Malgré cette position du magazine qui visait à pointer du doigt les cadences infernales que subissent parfois les employés, nombreux sont les internautes à condamner les salariés des abattoirs et estiment qu’ils sont victimisés à tort par l’émission. D’autres, à l’inverse, pointent du doigt le système plutôt que ses rouages : « Stigmatiser des employés pauvres, leur faire porter toute la responsabilité : c’est pas les abattoirs, c’est le capitalisme #EnvoyeSpecial » lien

La question du véganisme, notamment prônée par l’association, a été évoquée dans la plupart des messages sur ce sujet comme une solution pour agir contre les mauvais traitements infligés aux animaux dans un contexte d’industrialisation de l’abattage. Bien que la plupart des messages à ce sujet soutiennent ce mouvement (« Et avec cela vous voulez qu’on consomme de la viande ? Certainement pas ! Mieux vaut être végétarien (ou végétalien) ! » lien), on observe néanmoins que quelques voix discordantes se font entendre. Des internautes rejettent ce concept estimant qu’il s’agit d’une « idéologie extrémiste » ou que le véganisme n’est pas de la solution adéquate au problème : « on ne doit plus manger de viande selon vous bande d’imbéciles ? » lien

Le fonctionnement des abattoirs est mis en cause dans 13% des messages relevés. L’élevage industriel et les logiques de rentabilité qui en sont inhérentes sont pointés du doigt. Dans ce cas, ce sont à fois les employés des abattoirs et les animaux qui sont victimes de « pratiques d’un autre âge ».
Dans ce contexte, plusieurs internautes en profitent pour condamner les pratiques d’abattages rituels, halal et casher : « Et c’est pire dans les abattoirs halal, où ces pauvres cochons sont abattus sans étourdissement. » lien

L’hypocrisie des consommateurs de viande et l’inertie des politiques et autres instances sont pointées du doigt à parts égales par les internautes ayant pris la parole sur les révélations de l’association L214 (9% pour chaque thématique) : « Et les bobo parisiens scandalisés se rendirent compte que pour manger un steak il faut tuer une vache… #L214 #abattoirs » lien ; « À vomir …..de plus les caméras finalement ne seront pas obligatoires #Lâcheté et #mensonge de nos #politiques !!!! » lien

On notera que la forme de communication choisie par l’association, à savoir la diffusion d’images-chocs, ainsi que les réactions parfois épidermiques suscitées par ces images ont également donné lieu à plusieurs commentaires. Les internautes, bien que choqués par la violence des images, concèdent qu’il s’agit d’un combat « juste » mené par l’association et qu’il est donc parfois justifié d’employer ces moyens. La présence de l’humoriste Guillaume Meurice, comme porte-étendard de la campagne, est également saluée par plusieurs internautes. Le ressort comique qu’il utilise, en abordant la problématique sur un ton léger, apporte une « touche d’humour cynique » selon un internaute du forum Madmoizelle. A noter que ce procédé n’avait pas été utilisé par les personnalités qui l’ont précédé.

Enfin, une part marginale des voix a abordé l’impact de la campagne sur l’actualité. Un internaute a ainsi estimé que « ça va retomber aussi vite que c’est monté… Un jour ⬆ le lendemain ⬇ » lien

 

Un fort degré d’adhésion mais peu de témoignages d’un futur engagement militant

 

Répartition des types de réactions relevées suite à l’initiative de L214

Près de la moitié des verbatims relevés traduisent une forme d’approbation de la part des internautes quant à la démarche de l’association. Ces internautes s’accordent à dire que la maltraitance subie par les animaux en abattoirs est indigne et révoltante et soutiennent la démarche ou l’association.
Au-delà de la simple adhésion au principe de la défense de la cause animale, une forme plus forte d’adhésion a été exprimée sous la forme d’un engagement. On retrouve dans ce cas les internautes prompts à changer leurs habitudes alimentaires, voire à se tourner vers le véganisme, mais également ceux prêts à interpeller la classe politique ou simplement à faire circuler les vidéos mettant en cause les pratiques d’abattages.

De l’autre côté du spectre, nous retrouvons les internautes ayant perçu la campagne de manière plus réservée voire exprimant un rejet de l’idéologie prônée par L214. Sont principalement pointés du doigt le militantisme « extrême » de l’association qui vise à fermer l’ensemble des abattoirs français, sans tenir compte de l’aspect humain (en « stigmatisant » les employés et salariés de la filière), ni des choix de consommation des Français désireux de continuer à manger de la viande.
On notera que le débat soulevé par l’association L214 n’a laissé indifférents qu’une petite part des internautes, seuls 4% d’entre eux ont explicitement déclaré ne pas se sentir concernés par le sujet.

 

Bien que très visible, la nouvelle campagne de L214 a suscité moins de réactions que les précédentes initiatives de l’association. Mais au-delà de l’analyse de cette initiative isolée, l’objectif de L214 reste une action à long terme sur les habitudes de consommation des Français. Dans cette perspective, la forte part de messages positifs montre que les actions de L214 sont globalement bien vues par les internautes et que ses sympathisants sont actifs sur les réseaux sociaux. De quoi en faire une priorité politique, surtout avec l’ouverture de la 54e édition du salon de l’agriculture ? Une affaire à suivre.

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